6 Mars 2023
Le silence des papillons est une danse dans la nuit.
L’homme soupire, une volute de fumée sort de sa bouche. L’instant est un coucher de soleil sur la mer. On entend au loin des enfants s’amuser, crier, vivre. On aurait voulu le silence. Ça, c’est la pensée de la femme. C’est la femme qui ne veut pas se souvenir, c’est la femme morcelée. Elle est des milliers de pièces de puzzles éparpillées. Elle est une femme du monde, ça, elle est en est certaine. Elle entend l’homme parler d’un amour ancien, d’un amour enterré depuis longtemps, usé jusqu’à la corde. Elle ne veut pas se souvenir de ce bonheur si lointain, si inaccessible. L’homme soupire, une volute de fumée s’enfuit de sa bouche. L’instant, c’est le moment où les étoiles tapissent le ciel, c’est le moment où plus rien n’a d’importance. Pourquoi parlait d’un amour qui n’est pas le leur ? De ce couple rencontré durant un été au bord de la mer. Est-ce juste pour dire que le temps passe, qu’il est déjà trop tard.
C’est la fin de l’été, le moment choisi pour dire qu’il y eut un temps où on pouvait être heureux. Non, elle ne se souvient pas de ce couple, de leur amour si entier, si passionné, elle ne veut pas s’en souvenir. Les papillons de nuit volettent autour de la guirlande d’ampoules. Un étalement multicolore emberlificoté à la tonnelle qui dans ses courbes chaotiques tente de juguler la nuit. C’est pour faire croire encore à la fête, pour dire ce n’est pas fini. La terrasse du restaurant se vide. Bientôt, il ne restera plus qu’eux. Plus qu’eux et la mer. La mer qui malgré l’obscurité s’étend devant eux. Les enfants au loin ont cessé de jouer. La volute de fumée s’épaissit et la femme pose la main sur la main de l’homme. L’homme écrase sa cigarette dans le cendrier plein. C’est une main épaisse, nervurée, c’est une main qui aurait pu tendre, s’il n’y avait ce mythe d’un amour absolu, grand comme le ciel étoilé, cet amour qui n’est pas le leur. La main de l’homme n’est pas crispée, elle est lasse, lasse de ce bonheur qui n’est pas le leur, lasse de ce bonheur tant attendu et qui n’est jamais venu. Les papillons de nuit dansent autour des ampoules, dernière danse avant la fin. La terrasse du restaurant est vide et le serveur s’impatiente. L’homme attend quelque chose, une bouteille de champagne, un enivrement qui se substituerait au bonheur emprisonné dans le passé. La femme sait déjà ce qui est. Son regard pétille. Elle caresse la joue de l’homme qui ne s’est pas rasé. Elle prend son regard triste aux creux de sa main.
Un papillon s’égare sur l’une des fourchettes puis s’envole de nouveau vers la lumière. La femme embrasse l’homme, se lève et s’en va. La mer au loin embrasse les contours de l’obscurité.
Jean-Eric Wild
D'après un extrait de Savannah Bay, de Marguerite Duras
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