VUE DE DOS, TEXTES PARTICIPANTS

Le dernier souvenir d’elle, c’était sur le pont des arts. Elle regardait le fleuve, les péniches s’éloignaient, absorbée par le fil de l’eau, elle m’ignorait. M. n’était encore qu’une enfant, pourtant elle aurait pu marcher sur les eaux. Ce qui m’avait intrigué c’était son déséquilibre serein, debout sur un banc accoudé à la rambarde du pont, elle ne semblait plus de ce monde. Moi j’étais en partance. La décision du déménagement avait été prise sans moi. Mes parents avaient décidé que le pays du soleil et de la mer était une destination. Ils ne cessaient d’en parler, mes oreilles d’enfants ne voulaient pas en entendre parler. Ici, il y avait mes amis, mon bonheur simple de courir dans les rues. Après l’école, nos cartables sur le dos, nous explorions toujours plus loin la ville, elle semblait infinie, nous parcourions ses trottoirs, ses passages cloutés, nous jouions à cache-cache. Avec M. nous aimions nous tenir la main, nous aimions aller voir la Seine, nous rêvions de lointain voyage, nous nous racontions des aventures où nous serions vainqueurs de nos vies et ensemble pour toujours. Lorsque je lui ai dit que je partais pour toujours, elle ne m’a pas répondu, elle a juste regardé ailleurs. Nous n’étions que des enfants, nous avions un langage secret, notre monde était un murmure magique qui aurait dû nous préserver du temps qui passe.

Tout ce qui a existé a disparu, j’aurai pu croire au bonheur, mais ma vie s’était arrêtée là, sur le pont des Arts. Je suis devenu peintre et j’ai dessiné ce moment où tout a disparu. La lumière n’était jamais la même, la fillette changeait, évoluait à chaque nouvelle toile. Mon obsession n’en était pas une, elle permettait de me savoir vivant. Le souvenir ne ressemble jamais à la réalité, il est une émanation changeante du présent. J’ai mis du temps à le comprendre, j’étais en vie. En mon cœur cet instant fragile est devenu mon âme. J’ai vu le temps passer dans ce déséquilibre discret, serein et surtout libre. M. m’a donné un regard sur l’horizon.

Un jour, j’y suis retourné, c’était juste avant le crépuscule, le soleil rasant de cette fin d’après-midi a réchauffé mes vieux os. Les bancs avaient disparu, des milliers de cadenas étaient accrochés au grillage de la rambarde du pont, il y a tant d’amour en ce monde. C’est l’histoire de ce léger déséquilibre, de ce pas incertain vers l’autre, de cette beauté qui emplit toute une vie, juste un instant furtif qui je l’espère trouvera cette part d’infini dont nous sommes tous constitués.

Longtemps, j’ai regardé le fil de l’eau, comme une histoire à jamais contée, de l’autre côté du pont, il y avait une vieille dame, elle avait ce déséquilibre, j’aurai voulu croire que c’était M. Je suis retourné à mon pays de soleil et de mer, dans le train le paysage défilait et je me suis endormi.
Jean-Eric Wild

 

VUE DE DOS, TEXTES PARTICIPANTS

 A l’aube de sa vie,
Marcel s’est dessiné une ombre sur le sol ensoleillé et frais de ce petit matin de printemps. La lumière l’éclaire si bien de dos que son profil apparaît plus net encore. Comme une ombre sans tableau, un chef d’œuvre composé sur le vif. Le photographe s’est sculpté sur un parterre de nature vierge et d'insolente de liberté.

Caché aux yeux du monde pour mieux voir, Marcel sait se recomposer à l’adresse de chacun des clichés qu’il lègue. Il libère chaque personnage en le figeant en un instant qui peut durer l’éternité.

Marcel c’est le fils d’un jour. C’est le hors la loi, celui qui vit de ses différences qu’elles soient visibles ou pas. Marcel c’est la vie qui jaillit de chacune de ses effronteries. Il brille comme l’amour et se consomme trop vite. Le cœur au bout des doigts battants, il s’est épris de la vie.

Il aime trop la nature pour la peindre seulement. Il s’est senti prisonnier de bien des dangers de la ville et des affres de la fête pour oublier. Les spirites à volonté ; la fumer à suffoquer. Marcel, c’est l’homme qui vit trop au-dedans.

Ce mardi 10 Mai, il est sorti de de son centre de désintoxe en pleine nature, gai comme un pinson.

Il s’est pris en photo sur le sol. Comme un acte de vengeance sur la vie. A la vie à la mort, il les défis avec irrévérence. Un coup de maître, un de plus.

Marcel c’est l’artiste au feu de dieu. Celui que l’on, n’enferme dans aucun cliché.

Il n’est pas fils de ou frère de.

Il est. Et ça c’est un constat.

Celui qu’il grave à chaque cliché en noir en blanc. Il hurle sa vérité à chacun de ses souffles.

Parfois trop de vérités se bousculent en lui. Il se cherche alors.

Hier, il a peint sur le mur de sa petite chambre des mots couleurs arc-en-ciel « Je suis trop grand pour ce mur blanc ».

Quel affront pour ce timide à l’éclat de voix intérieure.

Il est en quête de sa liberté d’être et d’exprimer. Exprimer ses frustrations quotidiennes qui ont bâties des châteaux de rages incontrôlables.

Ses tristesses absorbées des autres. Il a tant absorbé les pleurs de son entourage qu’un déluge jaillit de son corps régulièrement.

En réalité il cherche à consoler la terre entière.

Son cœur est trop grand. Et son corps trop petit pour tant de peines. Alors il ère sur le rebord de sa vie.

Marcel c’est l’artiste à l’éclat pur.

Tant et si bien qu’au fond son chef d’œuvre c’est lui. 
Nadia Nait Ammou

 

D'après  VUES DE DOS, de Michel Tournier et Édouard Boubat

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