JUNGLES

Au loin dans le ciel, la traînée de poudre blanche d’un avion. L’unique trace venue l’exclure un instant de sa solitude d’homme sauvage. Sur ses cuisses, la terre humide traçait d’étranges arabesques. Il ne portait qu’un short qui laissait apparaître les jambes amaigries. Ses lèvres tentaient d’articuler un nom qui ne venait pas. Il sortit de sa poche un couteau suisse, l’enfonça dans l’écorce et griffa le tronc. Comme pour en extraire les mots. La pointe se brisa. Traversant le corps tout entier, la chaleur moite ralentissait ses gestes. Presque chaque jour il retournait à la source. Il savait que les bêtes allaient s’y abreuver. Il partait avant le lever du jour, guidé par l’odeur du passage de l’une d’elles, puis, par les premières lueurs de l’aube. Lui-même ressemblait à une bête, la peau et les lèvres sèches, fissurées par endroit. Les cheveux se confondaient à sa barbe informe. Bientôt la lame fine de son couteau rendrait à son visage l’apparence d’un homme. Celui-là même qui servait à tuer les petits oiseaux qu’il dévorait le soir venu encore brûlant des cendres d’un feu. Il partait pourtant moins souvent chasser, malgré l’instinct qui le rappelait à sa survie. Ses sensations physiques semblaient ne répondre à aucune autre loi que celle de sa survie. Quand dans la nuit noire, penché vers le feu, il portait à sa bouche la chair nourricière, la langue suçait l’offrande comme celle d’un nouveau-né. À ses traques il finit par préférer la culture d’un lopin de terre découvert en contre bas de la cabane. Là, il s’asseyait parfois des heures, contemplant les feuillages d’un arbre ou ceux des nouvelles pousses. Il réunissait quelques feuilles comme il avait vu faire sa mère, qu’il mélangeait à des racines ou du manioc. Chaque jour il remerciait la terre de lui offrir ces miracles. Parfois il sortait de son enveloppe la photo jaunie d’elle. Il lui parlait avec ses mots à lui.

Extrait roman NB

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