5 Avril 2019
Elle s’était garée sur la place, m’avait entrainé jusqu’au petit café. Là, elle avait repoussé le rideau de lamelles colorées et s’était assise près de la fenêtre. A part deux tables occupées, un homme sans âge au comptoir vissé à son portable, le bar était désert. Cela faisait presque dix minutes que nous étions arrivées quand le patron alluma le vieux poste de télévision. L’homme au comptoir leva la tête vers l’écran. Sur une plage, des hommes attroupés devant un journaliste, l’un d’eux montrait ses mains tailladées par de minuscules piques en formes d’harpons ensevelis dans les murs. Partout des clôtures géantes truffées de capteurs et de caméras, des barbelés qui fendaient les champs, coupaient les villages en deux ou délimitaient les frontières sur des milliers de kilomètres. L’homme multipliait ses murs de séparation.
- Vita assurda !
La télévision commentait, “les immigrantes enceintes sans papiers qui donneraient un enfant à adopter ne seraient pas expulsées pendant la durée de la procédure.”
- Après tout c’est une idée, faire adopter les enfants de clandestins pour permettre à ces fainéants de rester dans le pays, donne ton gosse ou dégage !
- Un néo con de plus ! s'emporta mon amie.
- Tu es encore trop jeune pour te permettre d’être ouvertement vulgaire, lui lança l’homme.
J’ignorais à quel point était pourvu le champ lexical de ce pays, ou tout du moins, à quel point la réplique pouvait posséder ce haut degré de créativité. Mon amie savait insulter efficace et chic.
J’ai compris ce jour-là que l’absurde n’était qu’une indulgence de plus à la folie des hommes. L’absurde, cette raison lucide qui constate ses limites, écrivait Camus.
La scène ce jour-là n’était pas absurde, elle était inadmissible. N.B
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