Ce texte me vient alors que défilent derriere la vitre les gares de Valence, Marseille, celles de Saint-Raphael, bientot Cannes puis Nice, Terminus. Je pense à ces deux premières heures où mon attention s'affairait à finir, préparer, corriger, anticiper, synthétiser, concrétiser, quitter, retrouver, créer, passant de l'un à l'autre. Enchaînements, accélérations, successions, sollicitations, mouvements d'occupation, se déroulant à une vitesse croissante. Comme si gagner du temps, remplir, était devenu le lot commun.
Je lis, Toute beauté est un arrêt.
Je pose l'IPhone que je tiens à la main depuis deux heures et qui me sert de correspondances, le concernant, mon occupation préférée. Qui me sert également de bureau, de recherches, de pleins.. Les paysages s'extraient de ma pensée qui en oublie ses rêveries. Je pense à cette façon particulière qu'elles ont d'ouvrir nos territoires. Plus de stratégie de fuite ou de combat. Plus de roman qui ressemblerait à une course-poursuite. Au milieu de ces incessants mouvements, je me prends à rêver d'un temps d'arrêt. J'interroge ce toujours plus vite et ce toujours plus. Il est partout permis d'accélérer mais quand est-il de notre droit à s'arrêter ?
La notion d'accélération n'est déjà plus d'actualité, l'a remplacé celle d'instantanéité. A une réalité postale ont succédé nos troisièmes mains. L'urgence est devenue la règle et non plus l'exception.
En un clic, on est transporté n'importe où sur la planète. Sans nostalgie réactionnaire mais attentive à la femme pressée que je suis devenue, je me prends à rêver à des heures inoccupées. Même courtes. Même fugitives. Insoumises et sans culpabilité. Et si on essayait de jouer le jeu même une demi-heure ?
Juste un livre parcouru, une photographie, une seule qui retiendrait à elle seule notre attention. Un retour du soi éloigné de ce toujours plus vite, du réactif. Sur le siège d'en face, un homme pianote sur ses deux portables, comme l'autre jour rue des Marronniers, l'homme sur son Tinder.
Je me prends à rêver à ce chemin faisant, à goûter aux métamorphoses des paysages derrière la vitre, à ces printemps chromatiques. A cette voyageuse qui préserve son voyage, parce qu elle ne se déplace pas : elle voyage.
Je pense à l'idée d'être en possession immédiate de ce que nous désiron, à celle qui retire le chemin et le temps de le parcourir. Je pense à la connaissance devenue téléchargeable. Aux algorithmes, au temps social redéfini. Quelques posts sur des réseaux sociaux, un "buzz" remarqué et transformé en info. Un résumé qui remplacerait un vrai travail journalistique ? Chaque jour notre actualité et notre histoire sont réécrites. Des fake news ignorant tout d’un travail journalistique, scientifique, politique ou autre.
A ces posts succède ce, J'existe, écrit en lettre majuscule, des scènettes exhibées chaque jour, ou chaque minute. L’impression de connaître jusqu’au plus petits recoins d’une intimité. A l'ère de l'ultra communication, les amateurs de littérature que nous sommes assumons préférer l'ère du mystère. Et de son intimité. Le temps de lire, d’écouter, de sentir, le temps des commencements qui durent et se réinventent, le temps des ravissements et des engagements, le temps des choix, le temps du regard et du rêve.
A un certain milieu artistique et littéraire composant avec ses faux rebelles speedes ou destroy, à son diable au corps qui fait toujours recette, flirtant avec la circonstance ou l'actualité, à sa déprime qu'on fait rimer avec intelligence, les lecteurs que nous sommes répondent par un doigt d'honneur. Ils font leurs choix. Peut-être bien ceux d'un bonheur moins soumis aux diktats d'un toujours plus vite, toujours plus trash, toujours plus aigri.
Le jour se serre contre l'horizon, entre chien et loup. Je pense au poème visionnaire de Rimbaud évoquant cette cinquième saison chère aux psychanalystes et à Pascal Quignard. Je pense à cette nouvelle temporalité qui redéfinit nos existences. Une hypothèse qui continuera à se cogner à la nécessité du temps de la pensée. Qui au contraire de la détourner d'un temps contemporain et de sa réalite, continuera à le penser. A construire cette pensée, l'essentiel, la singularité, le libre arbitre, l'esprit critique, le refus des extrémismes, des ignorances. La dissidence aujourd'hui est ce refus de la conformité. Refus encore du toujours plus vite, toujours plus connectés, toujours plus remplaçables, toujours plus individualistes mais de cet individualisme de horde, car toujours l'homme cherche sa meute. Do disturb..
Me revient le rêve que j'ai fait. Le rêve d'un autre temps. D'un instant suspendu. Rendez-vous de l'autre côté.
Nelly B
De Wells à Rimbaud, De Proust à Beckett, de Sutter à Quignard, Degroote ..,