6 Février 2018
Je suis née un vendredi huit, je le sais parce que les vendredis dans mon esprit sont vulnérables et soyeux. Je voudrais le retenir, le garder un peu contre moi, garder son secret.
Aujourd’hui c’est vendredi. Estelle n’est pas venue, ça fait trois semaines qu’elle ne vient plus. Elle n’a pas dit pourquoi. Je reste à mon bureau durant l’heure de sa séance, avant elles d’autres sont rentrés dans mon cabinet. Je pense aux mots qu’ils disent, à ceux qu’ils taisent, je pense à ceux qui n’ont jamais fait leurs adieux, à ceux qui se défont de leur tristesse, à ceux qui l’abritent, la prédestinent, la fixent, aux autres, à ce que garde leur mémoire, ce qu’elle évacue. Je pense à elle, mais pas toujours. Andrea m’a invité à passer quelques jours sur le continent. On est parti samedi matin, on s’est promené, on a pris des crises de fous rires, on a acheté des maillots de bain, on a visité des expos, on a bu des Spritz et on a fait l’amour. C’était doux et sauvage, c’était émouvant et effronté.
Je me laisse recouvrir par son silence. Il n’y a pas de cadre pour lui. Pas de limite. Nous n’avons rien usé Celia. Vous ne me voulez pas et pourtant vous êtes venue. Vous croyez que je vous paie pour que vous m’aidiez à composer avec cette identité ? Vous faites fausse route. Antipasti et Sirah. Il fait foutrement chaud dehors, la ville suffoque, on sera mieux ici. Je nous ai préparé un dîner, une pièce qui se joue avec deux actrices à table ! C’est un acte intime que celui de manger avec une inconnue non ? De surprendre le geste de la main, le choix des saveurs. C’est un acte qui pousse à la confidence. On aurait pu se séparer un vendredi, à l’embrasure de votre porte. Vous auriez pu me laisser repartir, avoir une belle fin. Mais quelque chose vous retient là. Vous êtes venue chercher la vérité.
Aucun ici qui ne raconte ses guerres, aucun qui n’invente de machines à tuer. On voudrait que nos pères dressent fièrement la tête quand leur fils part à la guerre. La fuite, l’engagement ou la révolte. Lequel des trois ont choisi nos pères ? Lequel de ces insoumis sont-ils devenus ? Lequel de ces cimarrons sortis du bétail et redevenus sauvages ? Lequel de ces héros ? Les hommes partent à la guerre depuis des siècles et personne n’y trouve à redire. Les hommes partent à la guerre et ils reviennent à moitié fous alors les dévots les abritent dans les campagnes, parfois même les marins. Ils partent à la guerre et nos mères derrière eux ramassent leur paquet de chairs et leurs drapeaux. Combien de mères couchées à terre à prier pour qu’on leur rende vivants ? La mort ne soudoie ni héros, ni martyrs, ni messies, elle n’en a rien à foutre de leurs guerres. Elle prend ce qu’on lui donne, avec la grimace blasée d’une souveraine qui répète chaque jour son numéro funèbre.
Extraits Nelly B
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