APPEL A TEXTE, 1000 signes, “joyeuses fêtes“

J’observais la lenteur précise de son geste vers l’oiseau. Je respirais l’odeur de la neige comme un enfant roi. Ma couronne en carton retombait sur mes yeux, trop grande pour une femme que l’enchantement venait de frapper.
- Je suis comme lui, je n’ai pas de secret, je n’ai que des abris.
Une langue insurgée poussait en moi. Un état soudain d’occupation, comme une émeute légère sous mes poumons. Les cloches annonçaient les douze coups de minuit. Ses yeux, ni instinctifs ni stratèges déroulaient leur fil hors de leurs dédales. Sa voix pénétrait tous les pores de ma peau, je sentais qu’elle me regardait quand les miens feignaient de se poser ailleurs que sur elle. Je savais que si je ne répondais pas, ces heures resteraient comme un sanctuaire magnifié. Je ne voulais pas qu'elle parte.
- Joyeuses fêtes.

La légereté n'est rien de ce qu'on imagine. Je savais que ces heures n’avaient pu peser plus de quarante grammes. Le poids de l’oiseau.      Nelly B.

 

 

Minuit moins le quart, Mathieu traverse un passage clouté. Cet homme blasé, tatouer jusqu’au sourcil, fait miroiter au monde qu’il est un dur à cuire.

L’enfer du bonheur c’est de traverser une rue déserte un quart d’heure avant minuit et se dire que Noël c’est juste pour oublier qu’on se pèle le jonc.

Minuit moins cinq, le tintamarre d’un caddie traîné par un homme titubant fait sursauter Mathieu. À travers la cuirasse de son blouson cuir, son cœur bat trop fort. Serrant ses poings au fond de ses poches troués, l’homme reprend sa marche. Ses pas s’allongent, son regard se planque dans la contemplation du mouvement pendulaire de ses pieds.

Barbe blanche et bonnet rouge troué, puant comme une décharge à ciel ouvert, L’homme titubant lui bloque le passage. Les deux hommes se toisent à grand-peine, l’un et l’autre s’offrent une trêve.

L’homme à la barbe blanche et au bonnet rouge fouille son caddie. Plongées au fond d’une fortune miséreuse, ses mains abîmées par l’arthrose retrouvent une agilité douloureuse.

‑ Oh ! Oh ! Oh ! Je savais qu’il était par là ! Tenez, joyeux Noël et restez bien sage !

Le Koala poussiéreux pendu au bout d’une chaînette observe Mathieu avec une indifférence bienveillante. Ce qui avait été un porte-clés porte le bonheur pathétique d’un instant silencieux.

Minuit, L’homme et son caddie sont déjà loin lorsque Mathieu lève les yeux vers le ciel obscurci par les lumières de la ville et qu’apparaît une étoile.      Jean-Eric Wild

 

 

Joyeuses fêtes ! » était un cri d’alarme pour moi. Les fêtes ont lieu au moment des ciels les plus gris. Ce cri résonnait en moi comme une obligation d’être heureux. Mon ciel était alors couleur de plomb toute l’année et « Joyeuses fêtes ! » n’était pas autre chose qu’une injonction adulte de plus. Quelle intention contenue dans cette bonne humeur soudaine de fin d’année ? Chaque autre jour de l’année ne peut-il pas faire l’objet d’un hommage avec un « Joyeux jour ! » que l’on délivrerait à ses enfants pour les remercier d’être là ? « Joyeuses fêtes ! » n’était pas sans me rappeler que l’on avait omis de vivre heureux avant ce jour. « Joyeuses fêtes ! » arrivait dans ma vie, insensé. Sans que je sache pourquoi. Mon cœur n’était pas entrainé à « Joyeuses fêtes ! ». Il était pris entre un ciel chargé de nuages lourds de menaces et son innocence amoureuse pour ses parents. Le ciel d’un enfant est l’œuvre de ses parents. Le ciel de mes parents tenait dans les serres de quelques vautours, des aïeux aux plumes sombres qui empêchaient de voir les arcs en ciel. Au cri de « Joyeuses fêtes ! », les oiseaux suspendaient leur vol au-dessus de mon esprit, indistincts dans leurs nuances de gris.       Michel Mahler

 

 

24/12 16h00. Temps glacial. Mme Ferrand me guide et murmure : Caroline épanouie. Fête. Chute. Secours. 15 minutes vides. Hôpital. Vie. Coma. Et les questions. L’insupportable m’englue. Compressée, en apnée, je prends sa main. « Bonjour Caroline, je suis Andréa ». Rien. Nous effectuons la toilette rituelle. Soudain je vois un poil noir sur le téton. Obsédant. Crève cœur sur la belle endormie. Sa peau diaphane, sa chevelure noire bridée, l’espoir. Ses pieds fins, ses jambes galbées, son ventre rond, son pubis obscène, ses seins pointés embrouillent les sens. Parfaite. Stupide poil intempestif ! Il m’emmerde coincé au travers de ma gorge. J’en ai vu, humé, léché des poils, aucun ne m’a torturée ainsi. 20h00. Seule. Je colle ma peau de larme à Caroline. Je rassemble le meilleur dans un baiser «  Joyeux Noël Caroline ». 00h00. La neige. Je découvre son sein, tire le poil d’un coup sec, le dépose au sapin. La folie seul remède.          Isabelle Mathieux

 

 

Elle est étendue sur le lit blanc, dans la chambre immaculée. Blanche aussi la neige qui recouvre les cèdres du parc. Le ciel cotonneux amollit l’horizon. La pâle jeune fille n’ouvre pas les yeux, ses paupières transparentes se plissent par instant et ses lèvres décolorées esquissent alors une grimace douloureuse. Lorsque revient une courte accalmie, on croirait une gisante marmoréenne.
Tandis que le jour s’éteint doucement, un frôlement, presqu’une caresse, un froufrou délicat lui fait entrouvrir les yeux. La garde malade peut-être. Mais non, elle dort la bouche ouverte sur le fauteuil. Aurelia tourne lentement son regard embrumé vers la baie. De grandes ailes frôlent les carreaux. Soudain, des claquements de sabots, des  tintements de clochettes, un sifflement sur la neige du ciel et dans un feu d’artifice passe une troïka menée par un drôle de bonhomme à la barbe blanche qui lui crie « Joyeuses Fêtes ! ».
Elle esquisse un sourire et dans un souffle laisse s’envoler son âme vers lui.    
  Penny Adrien

 

 

Ce sont les fêtes et il fait froid dehors. La lune captive le ciel noir, il est tard. Je la regarde marcher seule. Son dos voûté la rend vieille, elle n’a pas vingt ans pourtant. Dans ses bras, un étrange bagage et sur ses épaules, un vieux manteau gris. Le vent entonne sa triste mélopée.

Minuit sonne au clocher. La neige tombe. Sous le porche, la jeune fille sonne à la porte. Personne ne vient, elle n’attend pas. Son fardeau déposé, elle s’en retourne. Sans un regard.

Son allure devient légère. On la voit presque danser soudain. J’ouvre la porte et soulève doucement … son chagrin orphelin.          Aurore Caro

 

 

 

 J'ai travaillé une année aux périodes des fêtes, aux rayons jouets d'un grand  magasin. Les enfants venaient me parler à tour de rôle car j’étais père Noël à la Samaritaine. Mon gros ventre rouge et ma barbe postiches entretenaient l’apparence chaleureuse d’un grand-père bienveillant. Je n’ai jamais choisi mes emplois au hasard.

Je me souviens d’une petite fille en particulier, qui à huit ans croyait encore en moi. Quelle candeur de l’enfance dans ses yeux clairs. C’est l’âge des sentiments encore, et de l’intuition. 

Alors de ma voix la plus grave, je lui expliquai que la mort est inévitable et que la vie n’est que vanité.  Que ce jouet qu’elle convoitait ne lui servirait à rien et ne ferait que la décevoir - mais surtout qu’il ne servait à rien de se suicider, car il est déjà trop tard : il aurait fallu qu’elle ne naisse pas.

Sur la carte qu’elle me tendait, j’inscrivis mon nom : Emil Cioran.           Stephanie Valade 

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